dimanche 26 août 2012

La conscience Chapitre 2 (par Jean-Luc)


…sortant une main de ma poche, je m’apprête à pousser la porte autrefois blanche, aujourd’hui presque dégondée, l’estomac plutôt noué par cette ambiance irréelle.

Mais je ne pousserai rien !

Là où j’aurais dû entendre couinement de gonds rouillés et craquements de bois trop vieux, c’est un silence incroyable qui accompagne l’ouverture de ce panneau maintenant si léger, si irréel. Immobile dans un geste que je n’ai pas accompli je regarde s’évanouir incrédule cette porte qui disparaît à l’instant où je croyais l’effleurer.

Quelques instants d’un rien total, d’un néant que je ne saurais décrire laissent d’un coup place à la touffeur d’un air d’ailleurs que je crois reconnaître. Sans volonté de penser, trop étreint par la peur qui monte en moi, je réalise soudain qu’il n’y a pas de hasard à mon habillement que je pensais hors- saison. La chemise légère de toile de coton et le pantalon de même, sont à l’instant de circonstance.

Ils sont… ils sont… ceux que porte la silhouette qui se dessine peu à peu dans ce vide insensé.

Alors, en cet instant de surprise hébétée, la voix douce et posée se rappelle à moi. Je ne vois plus la bouche, je ne vois plus la valse des rideaux, mais la voix est là maintenant satisfaite de mon irréversible découverte.

- Reviens… reviens là où tu m’as quitté. Maintenant que tu es de retour !

Et alors que je croyais pouvoir m’enfuir, que je croyais pouvoir crier, que je croyais devoir me pincer pour me réveiller, haut et fort la voix me somma d’un « REGARDE » qui me figea sur l’instant.

Les formes vêtues de toile de coton légère s’affinent, s’affirment et laissent place aux traits d’un homme à l’aspect négligé, mal rasé, cheveux presque broussailleux, presque sales collés de sueur. Couvert de poussière les vêtements souillés de part en part, il est avachi inconscient sur une chaise que je ne vois pas encore, effondré sur une table que je devine à peine.

Il semble mort, ou dormir ; et l’effroi qui m’envahit impose à mon corps mécanique quelques pas qui m’en approchent, faisant se refermer derrière moi l’espace d’avant, comme le ferait un sas du temps. Trop tard ! L’effroi est bien là ! Car celui qui est ici, celui qui n’est pas mort mais qui aurait pu l’être, celui qui dort d’un sommeil d’épuisé vaincu… c’est moi !

Moi !

Le visage ravagé par des luttes trop longues, sillonné dans sa crasse par des chemins de larmes, je suis ce corps que je reconnais.

Mais si ce corps vit encore et qu’il est le mien, qui suis moi qui pense ?

- Entre, et tu le sauras… tu te souviendras

La voix répond à ma pensée pourtant juste pensée ! Mais entrer où ? Me souvenir de quoi ?

- Tu as traversé la forêt sinistrée, tu as perdu penses-tu tes amis, tu es venu, tu avais froid… crois- tu que tout cela n’est que hasard ? La cabane… vous vouliez pourtant y venir, vous l’espériez, vous la pensiez comme l’espace salvateur dans cet ailleurs où vous étiez et que tu ne réalises pas encore. Vous le vouliez, mais vous aviez peur. Le quitte ou double, vous le saviez.

- Je ne sais pas, je ne sais plus ! Rien ne me semble étranger et tout m’échappe pourtant ! Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel !!! Pourquoi ce rêve infernal ? Je veux me réveiller !

- Mais c’est bien pour cela que tu es là, justement ; pour te réveiller. Pour réveiller ce corps qui dort et sans qui tu n’es rien, rien de capable en tout cas pour agir, pour comprendre, pour continuer, pour sortir. Cesse tes questions, cesse de penser à d’inutiles réponses et concentre-toi sur ta conscience !

- Ma conscience ?

- Oui, ta conscience, tu m’as bien compris ! Que crois-tu que fasse ici ton corps ? Où crois-tu que soient ces amis que tu prends pour des lâches ? Pourquoi as-tu regardé intrigué ces arbres en lambeaux et la tristesse de ces lieux ? À quel prix étais-tu prêt à payer ta vie, ta survie ?

- Mais je n’en sais rien, je ne me souviens pas !!!

- Tu ne sais pas ? Tu ne te souviens plus ? Ah non, ce serait trop facile. Assume, assume ! et peut- être tu pourras encore changer tout cela. C’est trop facile de s’émanciper de sa conscience quand ça arrange, trop facile.

- Et qu’est-ce que tu en sais toi ? De quel droit tu m’infliges tes morales et tes leçons à quatre sous ? Qu’est-ce que tu en connais, toi, de ma conscience ?

- Ce que j’en connais ? Pauvre imbécile … JE SUIS TA CONSCIENCE !

-…

- JE SUIS TA CONSCIENCE !
-…

- Alors écoute moi bien : Si je suis ici, dans cette cabane, au milieu d’un enfer auquel tu n’es pas étranger, c’est justement parce qu’il n’y a aucun mythe, aucune fabulation. Il n’y a rien de maudit sauf toi-même si tu me laisses à jamais. La cabane vois-tu es le sas des choix ultimes, celui où ton âme affronte ta conscience. Ce corps, tu peux choisir d’y retourner si tu me le demandes, et j’y retournerais avec toi. Ce corps, tu peux choisir de l’abandonner, et alors je m’évanouirais à jamais.

- Et si je n’y retourne pas ? Si tu disparais, qu’est-ce que je deviendrais ?

- Tu entreras dans un monde dont tu ne soupçonnes même pas l’ombre de l’effroi ! Mais je me tais maintenant ; tu choisis de poursuivre et de réparer le mal que tu as fait, ou tu t’embarques à jamais dans le vaisseau de l’épouvante.

1 commentaire:

  1. Bonjour à ceux qui passeront par ici. Je suis la troisième main et j'ai eu grand plaisir à écrire une suite à ces deux étranges premiers chapitres... Que l'étrangeté demeure! Et bonne continuation à nous tous.

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