Nous
étions de fidèles amis, inséparables depuis l'école primaire.
Amis? Est-ce ainsi que l'on traite un des siens. Bande de lâches,
j'ai toujours eu horreur des trouillards. Finalement, ils ne sont pas
mieux que les autres. Cette balade improvisée aura donc été la
dernière en leur compagnie. Ils m'ont abandonné
dès l'embranchement du dernier sentier, celui qui mène à la
vieille cabane. Ils n'ont pas eu le courage d'aller au bout de ces
anciennes fabulations. Celles qui nourrissent plus de légendes que
le pays en entier. L'origine de ce bâtiment se perd dans
l'abîme du temps, nul ne sait depuis quand il habite ces lieux,
maudit par ceux qui ont osé croiser le pas de sa porte. Les mythes
font état d'étranges récits qui repoussent l'ardeur et le courage
de ceux qui oseraient en vérifier leurs teneurs. Moi, je n'y avais
jamais vraiment cru et j'aurais souhaité qu'il en soit de même pour
eux. Mais force est d’admettre qu'ils y croyaient encore, ces
froussards, à ces histoires bonnes à faire peur aux enfants
afin qu'ils ne s'éloignent pas trop de la maison. Ridicules elles
sont tout comme mes amis.
Or,
me voilà seul, entouré d'une multitude d'arbres endommagés, leurs
écorces pendantes leur donnent l'aspect de vieux lépreux au dernier
stade de leur maladie, cicatrices d'une trop longue vie sous ce
couvert forestier. L'ambiance sinistre qui émane de ces lieux
ne fait qu'engendrer des peurs surnaturelles, provenant du cœur même
de cette forêt damnée. Jonché de feuilles mortes qui craquent sous
mes pas lents et romps le silence des lieux, j'avance sur ce sentier
négligé. Le fumet sylvestre me rappelle étrangement l'odeur de la
vieille cave en terre de chez mes grands-parents. Le sol humide
commence à glacer peu à peu la mince chaleur que m'offre
ma petite veste, provoquant une attaque de chair de poule sur
l'ensemble de mon corps. J'avance lentement, bravant mes craintes
naissantes plus je progresse vers cette demeure délabrée.
La
distance qui me sépare d'elle se rétrécit. Au plus, une dizaine de
mètres m'en séparent. Je peux la distinguer, malgré la noirceur
qui commence à prendre possession des lieux. Le mince filet de
lumière peine à traverser le couvert ligneux, sous la présence
plus discrète des feuilles en cet automne naissant. Les murs
extérieurs, perforés à de multiples endroits sont d'une essence de
bois que je ne saurais nommer. La pauvre galerie, qui autrefois
devait être magnifique, est dans un bien triste état. Seules deux
poutres tordues par l'usure la soutiennent encore. La porte, qui
devait jadis être blanche, a depuis longtemps délaissé son aspect
immaculé au profit de gris et de champignons qui la peuplent à
plusieurs endroits. Elle n'est plus étanche et une de ses pentures a
cédé sous le poids des années. Les fenêtres, sans carreaux,
laissent passer des lambeaux de rideaux aux motifs effacés. Des
briques jonchent le sol, seuls témoins de la cheminée qui devait
autrefois offrir réconfort lors des jours plus frais, tout comme
aujourd'hui.
Je
masse énergiquement mes bras pour retrouver un peu de chaleur, avant
de mettre mes mains dans mes poches. Un léger nuage de vapeur
s'échappe à chacune de
mes respirations, témoin du froid qui m'envahit de plus en plus.
J'aurais peut-être dû me vêtir davantage avant cette excursion,
mais je ne croyais pas la terminer seul. Cette pensée me replonge
dans la colère envers ceux qui ont fui.
Un
bruit provenant tout juste derrière moi interrompt ma progression,
un léger craquement. Je n'ose plus bouger, balayant
du regard l'origine de ce son qui m'a fait sursauter. Serait-ce eux
qui reviennent, regret au cœur? Non,
rien ni personne à l'horizon, pourtant je ne suis pas rassuré.
Je fais encore quelques pas vers la maison, avancer pour mettre un
terme à ces légendes et franchir le pas de ces superstitions.
À
peine deux mètres me séparent à présent de cette cabane.
J'observe, sur le bout des
pieds, l'intérieur de cette fabrique à frayeur. Le noir,
malgré les ouvertures présentes dans les murs en ruine, recouvre ce
lieu obscur. Les rideaux, valsant au gré du vent glacial de cette
saison, se mettent à tourbillonner sur eux-mêmes. Ils se tordent et
se détendent sans arrêt. Ce mouvement incessant m'avait jusqu'à
maintenant échappé. Captivé par cette danse, je stoppe ma
progression et observe ce ballet continuel. Les dessins, jadis
élaborés qui devaient orner le tissu, se mirent à former des
images inquiétantes. Je fronce les yeux afin de mieux voir et
interpréter ces formes naissantes. Un bouche! Les motifs se
regroupent entre eux afin de former un moulin à parole! J'ai peine à
y croire. Comment est-ce possible, je cligne des yeux pour être
certain de ne pas souffrir de berlue. Non, la bouche est toujours
présente et immobile. Puis, venu de celle-ci, un léger sifflement
accompagne cette vision mutante sous mes yeux. Initialement discret,
mais ce qui me semblait n'être que des sons étranges provoqués par
le vent, est alors devenu plus fort. Mon sang cesse alors de circuler
en moi quand j'entends clairement le message venu de la maison.
—
Entre Étienne, entre et viens me
rendre une petite visite.
Je rêve ou quoi, la maison me parle!
Non, je dois devenir fou, c'est tout à fait impossible. Mais pour
confirmer mes appréhensions, j'entends de nouveau cette voix, cette
fois, elle est plus chaleureuse et invitante. Tout comme devait être
le chant des sirènes en mer.
—
Viens, je t'en supplie, je suis si
seule ici.
C'était bien vrai, elle me parle cette
maison! Je ne rêve pas. Intrigué, je m'avance plus près et...
Une avancée pas trop rassurante.... La lectrice
RépondreSupprimerque je suis est cachée derrière un arbre et observe le brave qui avance. C'est moi qui ai la chair de poule. Non, je n'irai pas le rejoindre, mais ..... que va-t-il survenir ?
C'est gagnant lorsqu'on est intriguée, lorsque l'auteur réussit à faire monter la tension du lecteur.
Le talent est ici indéniable.
C'est avec le même intérêt que je relirai la suite...
HG