-Tu sais, Danna, je m’inquiète…
Danna relève distraitement la tête, pour signifier qu’elle entend, tout en restant concentrée sur son bouquin
-Gilles m’a téléphoné, là… Et Étienne n’est pas rentré… Je crois que Sarah est partie le rejoindre.
-Quoi?! À cette heure-ci?
-Ben… J’ai peur qu’il soit arrivé quelque chose, tu vois… On l’a laissé seul, aller à sa cabane « maudite », là… Et tu vois…
-Tu vas pas t’y mettre aussi avec ces histoires? Sérieusement!
-Non. Tu sais mon point de vue là-dessus. Si je suis parti, c’est que ça me saoulait, leur expédition ésotérique… Mais j’ai peur qu’il ait fait une mauvaise rencontre, tu vois… À la tombée de la nuit, comme ça. Et maintenant Danna…
-Tu crois qu’on devrait appeler la police?
-Je sais pas… En même temps, peut-être que c’est rien… Et qu’est-ce qu’on va leur dire, à la police? On aurait l’air fin…
-Tu veux pas y aller, quand même?!... Putain, tu fais chier avec tes potes à moitié allumés, aussi! Et pourquoi vous l’avez laissé seul, hein? Tu crois que c’est malin dans la forêt comme…
-T'énerve pas…
-Bon… Pfff… Appelle la police, quand même, on sait jamais. Même si c’est pour rien, c’est mieux que l’inverse! Et allons-y, mais pas seuls. Appelle les autres! Si y a un problème, on sait jamais… je vais chercher ma lacymo.. Quoi?! Pfff… Pour une fois que je me couche tôt, tranquillement, avec mon bouquin. .
*
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« Si tu veux qu’elle vive… il te faudra lui dire. », « Si tu veux qu’elle vive… ». Les mots résonnent, infiniment. Lacèrent mon crâne… « Si tu veux qu’elle vive… »
-Assez!!!
Je deviens fou! Non, ce n’est pas possible. Je dois me concentrer… Penser… Rien de tout cela n’est possible. « Si tu veux qu’elle vive… » Ressaisis-toi! J’essaie de faire le vide… De reprendre le contrôle. « Si tu veux qu’elle vive… »
-Silence!!!
Pourquoi ma conscience... Ma conscience? Une conscience ne peut pas être extérieure! Suis-je en train de perdre le contact avec la réalité? Une « bouffée délirante »? Ou est-ce vraiment la cabane? Ces histoires… ? Sarah? Où es-tu Sarah? Que se passe-t-il? « Si tu veux qu’elle vive… » Reprendre le contrôle… Vite… Vite!!! Forcer les souvenirs… Trouver comment s’échapper… Une épée transperce mon crâne… Vite! Discussion, bière, amis, cabane, abandon, froid.
Je sens la poussière du sol entrer dans mon nez, ses champignons nauséabonds… Le rouge… Chasse le rouge! … Forcer les souvenirs… Froid glacial, noirceur, moi en face de… moi? Moi, pitoyable, abattu… Étienne? Cette chaise… Moi en face de… non, ce n’est pas possible… Je suis en train de devenir fou! Sarah? Il me semble t’entendre, Sarah, il me semble te sentir, si proche… « Assume »! « Sinon, elle rejoindra les autres »!
-Nooonnn! Je ne suis pas un assassin!!!!!
« SI TU VEUX QU’ELLE VIVE… » Mon cerveau se resserre, se compresse, j’ai mal! Un mal atroce m’envahit… Je garde les yeux fermés. Reprendre le contrôle. Le rouge entre quand même, sous mes yeux… Je sens un goût de métal dans ma bouche… Les cadavres… Je me tords sur le sol… Reprendre le contrôle… « Assume »! « Si tu veux qu’elle vive »
Ahhh… Une épée transperce mon crâne. Mais qu’ai-je donc fait ???
-SARAHHHHHH!!!!!!
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-Oui, je t’entends! Mon amour, c’est ça, reviens! Reviens!
Alicia flotte toujours, devant moi, le regard planté dans le mien. Des larmes gonflent mes yeux. Ma gorge se resserre… Non, ce n’est pas elle! Mes mains tremblent. Je serre plus fort Étienne… Ce n’est pas elle! La cabane vient me chercher, moi aussi, ça y est! Je baisse les yeux. Surtout ne pas se laisser distraire, saisir par les émotions… Ce n’est pas elle! Il faut ramener Étienne…
-Reviens! Je suis là! Lutte, oui! Chasse là! Tout cela n’est pas vrai, je t’aime!
Comment faire avec ce réseau qui ne passe pas, cette porte fermée? Je sais que c’est vain, au milieu de la forêt, mais… Je prends mon souffle, et crie, de toutes mes forces :
-AU SECOURS!!!!!
Mais ce qui sort de ma bouche a le volume sonore des gémissements d’Étienne… Comme dans un rêve… Un cauchemar!
J’articule, plus lentement :
— Écoute-moi bien, Étienne. Ne crois rien de ce qu’elle te dit. Ne doute pas de toi! Ne doute pas de moi, de nous… Tu es une bonne personne, et je t’aime! Elle veut entrer en toi, elle veut que tu deviennes elle… Ne fais rien de ce qu’elle veut…
Je sens la pièce bouger autour de moi, l’air devenir lourd, suffocant. La couleur des murs change, prend des tons ocre… L’espace se compresse, rapetisse… La cabane proteste, elle me menace. Le visage d’Alicia change aussi, se décompose… Nooon! Il ne faut surtout pas que je la regarde. Me concentrer sur mon but, uniquement sur mon but : ramener Étienne. Le reste ne compte pas. Le reste n’existe pas.
Je pense aux récits mythologiques celtes, au changement dans la perception du temps lorsqu’on marche dans un cercle de pierre, qu’on tombe dans l’univers des fées et de leurs jeux… La perception… Je pense au vieux fou de Ben dont parlait mémé Lili… qui était entré dans la cabane, et ressorti… Si je l’avais plus écoutée… Et ces archives, qu’elle avait consultées…
La silhouette mouvante d’Alicia se rapproche, véhiculant une odeur de mort. Son visage est désormais face au mien, je ferme les yeux, très fort, la mâchoire serrée. Je sens son souffle putride, à quelques centimètres de moi…
— « Si tu résistes, il mourra! »
Et bien voilà ! La conscience... je le savais qu'elle serait bien vite de retour... je le savais... et ce n'est pas faute de vous avoir prévenu dés le chapitre 2. De grands malheurs arrivent, je le sens. Euonimus ne nous le cache guère non plus. Tremblez... le sang qui a coulé n'était pas vain, pas feint, il vient de... CHUUUT, ce n'est pas à moi de dévoiler la suite.
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