mardi 4 décembre 2012

PSYCHÉDÉLISME CHAPITRE 15 (Alice)


L'ombre de l'inspecteur Jabert s'étire sur la porte du cabinet du Docteur Faure. Son poing se lève et s'abat sur la porte, délaissant la sonnette. À cette heure tardive, il n'y a plus de secrétaire, et Jabert ne s'attend pas à trouver le praticien. "Diplômé de la Faculté de Psychologie de Paris VII" indique la plaque.
Soudain, lumière, verrous, l'homme ouvre. Calme, sans relief, habitué aux situations de crise, il ne tique même pas quand le commissaire lui colle sa plaque sous les yeux.

- Ah, c'est vous.
Jabert en revanche accuse le coup.
- Vous m'attendiez ?
- Étienne m'a prévenu.
- Comment ça prévenu ? Il vous a contacté ? Quand ?
- Non, c'est plus compliqué que ça. Entrez Inspecteur.
Michel Faure s'efface pour laisser entrer le flic, et le suit jusqu'à son bureau. Mathieu ne s'assied pas, et toise le praticien :
- Expliquez-vous, dit-il d'un ton sans appel.

Le psy enlève ses lunettes, et sa voix profonde s'élève.
- Étienne Marchand est mon patient depuis 1989, peu de temps après la mort de sa mère. Ce soutien faisait partie intégrante de son traitement à l'hôpital psychiatrique Saint Vincent. Quand le gosse avait 10 ans, les voisins ont appelé la police après avoir entendu des hurlements. Quand les secours sont arrivés, la mère était morte, le corps lacéré de 66 coups de couteaux, l'enfant assis dans son sang qui répétait comme une prière : "Les lâches payent toujours le prix fort. Il est l'heure.". Il n'y avait pas de preuve contre Étienne, et comme il était mineur, il a été placé en hôpital psychiatrique. Avec les circonstances du meurtre, le chiffre 66 et la scène, les rumeurs ont commencé à se répandre, on disait que c'était le fils du diable et les gens faisaient des signes de croix sur son passage. Bien sûr, les ravages sur l'équilibre psychique de l'enfant étaient irréversibles : cauchemars, hallucinations, automutilations. C'était très dur pour Etienne, il souffrait beaucoup. Peu à peu, les consultations se sont espacées, je me suis dit qu'il allait mieux.
- Pourquoi ?
- Étienne venait de rencontrer une jeune femme, et il se remettait doucement.
- Alicia ?
- Oui.
- Et ensuite ?
- Je le voyais une fois tous les deux ou trois mois. Une séance, basée sur l'hypnose a particulièrement mal tourné. On aurait dit qu'Etienne était possédé, ce qui est un symptôme courant de la schizophrénie. Ça ne s'est jamais reproduit, et tout est rentré dans l'ordre. Et puis un jour, brusquement, l'hôpital psychiatrique m'a rappelé.
- C'était quand ?
- Vous le savez déjà, Inspecteur. Il y a dix ans, juste après la mort d'Alicia.
- Comment était Étienne lors des séances ?
- Ravagé, prostré, en lutte contre lui-même. Diagnostiqué bipolaire.
- Il cherche à se protéger de quelque chose ?
- Ou de quelqu'un. Il refoule une vérité, quelque chose de terrible que son esprit ne peut pas encaisser. Je le reçois toutes les semaines depuis deux ans et il n'y a pas d'amélioration vraiment profonde.
- Que s'est-il passé pendant la séance d'hypnose ?
- C'était une méthode thérapeutique pour essayer de dégager les souvenirs qu'Etienne a enfoui après le décès de sa mère. Au début, il racontait des souvenirs gais, l'école, sa mère souriante. D'un seul coup, son visage et sa voix se sont déformés. C'était... terrifiant.
- A-t-il dit quelque chose ?
- Oui. Il a dit : "Un jour, il te faudra payer pour ça. Tu ne pourras pas te soustraire à ma volonté."

Faure raccompagne le commissaire silencieux jusqu'à la porte.
- Dites, Docteur...
- Oui ?
- Étienne Marchand, il pourrait enfouir des choses dans son esprit tellement profondément qu'il pourrait se persuader qu'elles n'ont jamais existé ?
- Et aliéner sa propre conscience ? Bien sûr. Vous étiez là, Inspecteur.
- L'incident lié à l'hypnose, vous pensez à quelque chose d'occulte ou simplement à une expression de son trouble mental ?
- Inspecteur, je ne crois pas aux forces occultes. J'ai fait des études, et je suis trop cartésien. Mais ce jour-là, elles étaient là.
- Vous ne m'avez pas dit comment Etienne vous avait prévenu.
- Après le décès d'Alicia, il m'a dit que vous pourriez l'arrêter. Et que tout s'achèverait quand vous vendriez me voir.
- J'espère qu'il a raison... Bonsoir Docteur.

***

Le commissaire Vulgor, accroupi dans l'herbe trempée à l'endroit où se trouvait la cabane, essaie d'établir un contact avec Étienne.

- Étienne, bon sang, Sarah est atteinte, il faut que tu te reprennes ! Elle a besoin de toi ! Ton enfant aussi ! Étienne ! Tu m'entends ?

Sa litanie dure depuis vingt bonnes minutes, sous le halo mouvementé de la lumière bleutée, lorsque son téléphone se met à vibrer.

- "Le psy a rouvert la brèche. Étienne n'est pas assez fort pour lui résister. lI a recommencé. Cette fois, il faut agir Luc.
- Le bébé... ?
- On a pas le temps. C'est le père qu'il faut atteindre."

1 commentaire:

  1. eh bien !!! j'en suis pantois. Quel polar ! des révélation, du suspens encore... la cabane est toujours aussi excellente. Bravo Alice.

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