Répit
!
Même
si je suis dans les limbes, cet espace non défini entre les mondes,
j’ai un putain de
répit
!
Le
point, vite ! Alicia a parlé de supérieurs tout à l’heure, c’est
pas elle qui tire les ficelles. Moi je ne suis que la proie la plus
facile, le gibier blessé, celui qui du troupeau court le moins vite.
La
résurgence de ma mémoire me prend soudain au dépourvu, un flot vif
d’images et d’émotions m’entraine dans un tourbillon sans fin,
dans lequel le temps n’a plus d’emprise.
Là,
perdu dans le malstrom des réalités, je sais. La cabane n’est ni
ma conscience, ni l’émanation de la volonté d’Alicia. La cabane
est le cristal à travers lequel Il se manifeste, le prisme qui
déforme nos visions pour les rendre conformes à la Sienne. Il est
la cabane.
Qui ?
Celui qui guette dans l’ombre, le déchu, l’ange aux ailes
noires.
Satan,
mon père.
Sarah,
par pitié tu sais ce que tu dois faire. Fais-le sans hésiter, ta
main ne doit pas trembler. Ton amour est un point fixe dans mon
temps, ce qui empêche ma raison de vaciller et ma nature de
triompher. Laisse le venir en toi.
L’ombre
apparaît à nouveau devant moi. Mais cette fois je connais
l’identité de l’usurpateur, plus besoin de masques et de
comédies sanglantes.
-
Bonjour, père, fis-je
- Tu
acceptes enfin la vérité ?
- Je
ne le puis père. « Les lâches payent toujours le prix fort. Il est
l’heure ». Et qu’en
est-il
des braves ? Combien doivent tomber pour que tu comprennes enfin que
je renie
ton
héritage ? Je ne te fuirai plus désormais. Je cesse d’être
lâche. A toi d’affronter
cette
vérité : tu as échoué. Oui, il est l’heure. L’heure à
laquelle tu rembourses toutes
tes
dettes de sang.
De
blanc, le spectre est passé au rouge. Ce n’est plus Alicia que je
contemple, mais le visage grimaçant du mal, l’incarnation des
enfers où la moitié de mon âme fut forgée.
-
Elle mourra si tu me rejettes. Et tu la regarderas se consumer pour
l’éternité dans le
purgatoire.
-
Nous verrons bien. Ni toi ni moi ne maîtrisons cet aspect de la
partie. Tu as abattu ton
jeu.
A mon tour maintenant.
*****
Les
deux inspecteurs Luc Vulgor et Mathieu Jabert s’isolent pendant
quelques instants, prétextant
un détail à régler sur l’affaire en cours. Mais en réalité ce
qu’ils ont à régler est loin d’être des détails, et ils ont
du mal à garder un ton raisonnable pendant qu’ils se disputent.
- Bon
sang Luc ! Tu joues à quoi !
- A
quoi je joue ! Elle est trop forte celle-là. Si on avait fait comme
je t’avais dit il y a trente
trois ans, on n’en serait pas là aujourd’hui !
- Le
tuer ! C’était ça ta solution. Le tuer dès qu’il sortait du
ventre de sa mère ! Non !
J’ai
refusé à l’époque, et si c’était à refaire je prendrais la
même décision.
- Ah
ouais ! Il ne va pas tarder à arriver. On va lui dire quoi ? Qu’on
s’est fait avoir comme
des bleus, que pendant qu’on regardait ailleurs, persuadés qu’on
s’était fait oublier,
il nous a pris par surprise ?
Mathieu
ne répondit pas de suite. Il fallait calmer le jeu, s’énerver ne
servirait personne. Il orienta la conversation sur un autre problème.
- Tu
savais qu’il consultait un psy ?
- Et
comment tu voulais que je le sache ? Jusqu’à preuve du contraire,
c’est toi son ange
gardien. Moi c’est de Sarah dont je m’occupe. Enfin m’occupais,
parce je pense qu’elle
en plus pour longtemps.
- Je
suis sûr que le psy en question est à l’origine de tout. C’est
lui qui a rouvert la brèche.
Je ne vois que ça. Si c’est le cas, il peut encore nuire. Il faut
le neutraliser.
-
Pour le moment, on va attendre qu’il soit là. Je pense qu’il
aura des questions à lui poser
dans tous les cas.
Mathieu
acquiesça, et ils retournèrent avec les autres, angoissés à
l’idée de ce qui allait se passer.
********
Le
flot de paroles de Sarah semble sans queue ni tête aux oreilles de
Danna et Daniel. Il y est question de fils, de père, d’enfer et de
fin du monde. Un charabia mystique et occulte digne d’un des
meilleurs passages de l’exorciste.
Mais
les regards qu’échangent les deux policiers n’échappent pas à
Daniel. Définitivement oui. Ces deux là en savent plus que ce
qu’ils ne l’admettent. Toutefois, le jeune homme ne peut
s’empêcher de s’inquiéter pour Sarah. Il connaît ses penchants
pour l’occultisme. Et si finalement tout cela n’était pas que
poudre aux yeux et simagrées ? Si derrière tout cela se cachait
une vérité si terrifiante, si terrible, qu’elle doit être
soigneusement cachée aux yeux des mortels ?
L’angoisse
de Daniel devient peur. Il pressent que s’approcher de ces arcanes
comporte un prix, un tribut qu’il ne veut pas payer.
Sarah
se dresse soudain sur ses jambes, son corps tendu comme un arc semble
être aussi dur que de la pierre.
Danna
se précipite vers elle en criant son prénom.
-
Sarah ! Sarah !
Mais
la voix qui sort de ses lèvres n’a plus rien à voir avec celle de
la jeune femme. Gutturale et
profonde, les mots qu’elle prononce provoquent l’effroi chez ceux
qui l’entendent.
- Il
n’y a plus de Sarah. Je suis Michaël, et suis venu mener mon
dernier combat !