jeudi 25 octobre 2012

Répit Chapitre 12 (Darklulu)



Répit !

Même si je suis dans les limbes, cet espace non défini entre les mondes, j’ai un putain de
répit !

Le point, vite ! Alicia a parlé de supérieurs tout à l’heure, c’est pas elle qui tire les ficelles. Moi je ne suis que la proie la plus facile, le gibier blessé, celui qui du troupeau court le moins vite.

La résurgence de ma mémoire me prend soudain au dépourvu, un flot vif d’images et d’émotions m’entraine dans un tourbillon sans fin, dans lequel le temps n’a plus d’emprise.

Là, perdu dans le malstrom des réalités, je sais. La cabane n’est ni ma conscience, ni l’émanation de la volonté d’Alicia. La cabane est le cristal à travers lequel Il se manifeste, le prisme qui déforme nos visions pour les rendre conformes à la Sienne. Il est la cabane.

Qui ? Celui qui guette dans l’ombre, le déchu, l’ange aux ailes noires.
Satan, mon père.

Sarah, par pitié tu sais ce que tu dois faire. Fais-le sans hésiter, ta main ne doit pas trembler. Ton amour est un point fixe dans mon temps, ce qui empêche ma raison de vaciller et ma nature de triompher. Laisse le venir en toi.

L’ombre apparaît à nouveau devant moi. Mais cette fois je connais l’identité de l’usurpateur, plus besoin de masques et de comédies sanglantes.

- Bonjour, père, fis-je
- Tu acceptes enfin la vérité ?
- Je ne le puis père. « Les lâches payent toujours le prix fort. Il est l’heure ». Et qu’en
est-il des braves ? Combien doivent tomber pour que tu comprennes enfin que je renie
ton héritage ? Je ne te fuirai plus désormais. Je cesse d’être lâche. A toi d’affronter
cette vérité : tu as échoué. Oui, il est l’heure. L’heure à laquelle tu rembourses toutes
tes dettes de sang.

De blanc, le spectre est passé au rouge. Ce n’est plus Alicia que je contemple, mais le visage grimaçant du mal, l’incarnation des enfers où la moitié de mon âme fut forgée.

- Elle mourra si tu me rejettes. Et tu la regarderas se consumer pour l’éternité dans le
purgatoire.
- Nous verrons bien. Ni toi ni moi ne maîtrisons cet aspect de la partie. Tu as abattu ton
jeu. A mon tour maintenant.

*****

Les deux inspecteurs Luc Vulgor et Mathieu Jabert s’isolent pendant quelques instants, prétextant un détail à régler sur l’affaire en cours. Mais en réalité ce qu’ils ont à régler est loin d’être des détails, et ils ont du mal à garder un ton raisonnable pendant qu’ils se disputent.

- Bon sang Luc ! Tu joues à quoi !
- A quoi je joue ! Elle est trop forte celle-là. Si on avait fait comme je t’avais dit il y a trente trois ans, on n’en serait pas là aujourd’hui !
- Le tuer ! C’était ça ta solution. Le tuer dès qu’il sortait du ventre de sa mère ! Non !
J’ai refusé à l’époque, et si c’était à refaire je prendrais la même décision.
- Ah ouais ! Il ne va pas tarder à arriver. On va lui dire quoi ? Qu’on s’est fait avoir comme des bleus, que pendant qu’on regardait ailleurs, persuadés qu’on s’était fait oublier, il nous a pris par surprise ?

Mathieu ne répondit pas de suite. Il fallait calmer le jeu, s’énerver ne servirait personne. Il orienta la conversation sur un autre problème.

- Tu savais qu’il consultait un psy ?
- Et comment tu voulais que je le sache ? Jusqu’à preuve du contraire, c’est toi son ange gardien. Moi c’est de Sarah dont je m’occupe. Enfin m’occupais, parce je pense qu’elle en plus pour longtemps.
- Je suis sûr que le psy en question est à l’origine de tout. C’est lui qui a rouvert la brèche. Je ne vois que ça. Si c’est le cas, il peut encore nuire. Il faut le neutraliser.
- Pour le moment, on va attendre qu’il soit là. Je pense qu’il aura des questions à lui poser dans tous les cas.

Mathieu acquiesça, et ils retournèrent avec les autres, angoissés à l’idée de ce qui allait se passer.

********

Le flot de paroles de Sarah semble sans queue ni tête aux oreilles de Danna et Daniel. Il y est question de fils, de père, d’enfer et de fin du monde. Un charabia mystique et occulte digne d’un des meilleurs passages de l’exorciste.

Mais les regards qu’échangent les deux policiers n’échappent pas à Daniel. Définitivement oui. Ces deux là en savent plus que ce qu’ils ne l’admettent. Toutefois, le jeune homme ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour Sarah. Il connaît ses penchants pour l’occultisme. Et si finalement tout cela n’était pas que poudre aux yeux et simagrées ? Si derrière tout cela se cachait une vérité si terrifiante, si terrible, qu’elle doit être soigneusement cachée aux yeux des mortels ?

L’angoisse de Daniel devient peur. Il pressent que s’approcher de ces arcanes comporte un prix, un tribut qu’il ne veut pas payer.

Sarah se dresse soudain sur ses jambes, son corps tendu comme un arc semble être aussi dur que de la pierre.

Danna se précipite vers elle en criant son prénom.

- Sarah ! Sarah !

Mais la voix qui sort de ses lèvres n’a plus rien à voir avec celle de la jeune femme. Gutturale et profonde, les mots qu’elle prononce provoquent l’effroi chez ceux qui l’entendent.

- Il n’y a plus de Sarah. Je suis Michaël, et suis venu mener mon dernier combat !


mercredi 24 octobre 2012

Chapitre 11 (Mathieu J.)


Avant de subir ce silence inouï, la dernière voix que j’entends au-delà des cris chargés des larmes de Sarah, est celle de Mathieu. L'inspecteur Jabert, mon fidèle ami, est sur place lui aussi. Et soudain je comprends une chose. Elle m'a échappée pendant toutes ces années mais la vérité éclate brusquement dans mon esprit malmené par les événements du jour. Aux paroles de Mathieu, je saisis immédiatement. Le puzzle se reconstitue d’un coup. Les pièces s'assemblent sans que je puisse rien y faire. La partie allait se jouer sans moi. Alicia avait raison. A cet instant je sais que Sarah est en danger. Et dire qu'au cours de ces douloureuses séances chez mon psy, j'avais sans cesse gravité autour de l'indice qui me manquait. Je m'étais approché et éloigné alternativement, au gré des discussions et des questions parfois embarrassantes du docteur. Dix ans que mes nuits étaient peuplées de véritables cauchemars et dix ans que ces allers retours chez le psy étaient censés m'apaiser. Il avait fallu que je fasse une nouvelle fois le con à vouloir retrouver la cabane. Bordel, il avait fallu entendre la tirade machiavélique d'Alicia puis le murmure de Mathieu pour qu'enfin tous les fragments de l’histoire collent. Oui mais voilà, je venais de faire un choix fatal. J'avais tranché et je me retrouvais piégé. J'étais là sans y être, dans un endroit indéfinissable, au silence étouffant. La fin allait sonner funestement à l’extérieur et pourtant les questions continuaient à affluer. Pas sûr que je sois en mesure de tenter d’y répondre.
J'étais foutu certes, mais Sarah ne pouvait pas subir ce que je redoutais. Non, surtout pas. Il subsistait peut-être un moyen, une chance infime...
 
********
 
L’inspecteur Jabert continue son manège, comme sourd aux injonctions de Sarah, et imperméable à la tension qui règne alentour. Seul son précieux carnet semble agité. Lui est stoïque, concentré sur la recherche d’indices. Il a à peine salué Vulgor, plus démonstratif et méditerranéen dans sa façon d’aborder la situation. Sa mise en garde a d’ailleurs glissé sur Jabert.
Mais Sarah n’en démord pas. Sa vision se précise. Elle agrippe soudain la manche de Mathieu, manquant de précipiter à terre le fameux carnet.
 
-          Mat, écoute moi bon sang…C’est toi. Tu es le subalterne, elle a parlé de toi !
 
Jabert finit par lever la tête et tendre une oreille tout en faisant courir sa plume sur le papier recyclé. Aussi brusquement qu’il s’employait calmement à récolter des éléments un instant plus tôt, il empoigne Sarah et l’éloigne du groupe.
 
-          Sarah, « elle », c’était qui ? Qu’est-ce qu’elle a dit précisément ?
-          Tu sais très bien qui elle est.
-         Ecoute moi, tu viens de vivre une expérience traumatisante, je te comprends…Prends-ton temps, ne te précipite pas. On va discuter, tu vas tout me raconter.
 
Mathieu se rapproche alors du groupe :
 
-          Elle est sous le choc.
 
Le groupe décide d’un commun accord de poursuivre l’interrogatoire dans un endroit plus familier à Sarah, et surtout plus apaisant. La bande laisse la place aux équipes de techniciens de la brigade de recherche et de celle des phénomènes surnaturels.
 
Le commissaire Vulgor a donné ses ordres avant de quitter les lieux. Il faut aller vite. Cette histoire va faire le tour de la bourgade. Et il connaît bien la nature humaine. C’est peut-être pour cela qu’il s’accroche de cette manière à sa passion du surnaturel. Il en a fait son métier. Il lui permet de s’évader depuis cette sombre affaire survenue il y a plus de dix ans. Cette lugubre affaire qui semble vouloir ressurgir aujourd’hui. Pour le moment, il souhaite éviter à tout prix les fouilles-merde, quelques journalistes du canard local en particulier. Mais il veut surtout s’épargner quelques frayeurs. Et sauver ce qui peut encore l’être.
 
 
Installée confortablement dans le fauteuil de Danna et Daniel, Sarah parle. Elle ne peut plus s’arrêter, une tasse de café entre les mains.
Dans la pièce d’à côté, le couple patiente. Mathieu a insisté pour séparer la bande dès leur arrivée. C’est Vulgor qui a préparé le café. Une dose conséquente. Les deux fonctionnaires savent que la séance de questions durera.
Le breuvage mêlé à ses confessions semble soulager Sarah.
Une chose attire sans cesse les yeux de Jabert et Vulgor, cette pellicule accrochée au cou de la jeune femme. Mais ils essaient de ne pas la brusquer.
Un mot revient dans le récit des évènements de la cabane. Celui de psy. Etienne consulte un psy, et Sarah a l’air de l’avoir découvert aujourd'hui. Les deux enquêteurs échangent un regard furtif. Il faudra absolument consulter le psy ou avoir accès au dossier médical. Le plus vite possible.
 
 
Dans la cuisine, Daniel est nerveux. Il pressent quelque chose.
 
-      Danna ?
-      Oui ?
-    J’ai surpris une conversation téléphonique tout à l’heure. Vulgor se demandait pourquoi on avait appelé Jabert. Il paraissait furieux.
-     Tu penses qu’il a quelque chose à cacher ?
-      Lui oui…mais Mathieu aussi. Les deux savent quelque chose. Et les deux ont intérêt à rester discrets, crois-moi. Et peut-être pas pour les mêmes raisons…

mardi 9 octobre 2012

Douce Alicia... Chapitre 10 (Tippi)


Douce Alicia...


Etienne? il n'y plus d'Etienne... Il est mort Etienne 

Je vois les mots se déverser de sa bouche, ils sont flammèches, torrents de sang, essaim grotesque de mouches noires. Ses lèvres alternent entre rictus et pleurs ; je n'entends pas les cris, à jamais sourd à eux. Je connais son regard, j'y ai tellement puisé.
Ma mémoire amoureuse donne sourire et lumière à ces yeux haineux, à cette bouche déformée ; les images de bonheur se superposent comme dans un kaléidoscope. Alicia, la gardienne de tous mes « je t'aime » … jamais,

Jamais je te le jure je n'ai plus prononcé ces mots.
J'ai retiré la pellicule dès qu'on a commencé à courir, je m'y étais préparé. J'ai voulu chercher Daniel, je ne pouvais pas le laisser sous la mitraille ; je venais de le voir tomber, et je croyais t'avoir mise à l'abri.
Non, je ne suis pas parti en prenant le film à ce moment là, sachant que j'allais te laisser. Non, je n'aurais jamais fait cela.
En rejoignant Daniel près d'une petite porte cochère, pas loin d'une cabane... tiens comme celle-ci, j'ai été percuté et j'ai perdu conscience...

Ah ouiii vocifère la bouche disloquée, tu l'as perdue ta conscience et bien je te l'ai retrouvée moi !

Comment peux-tu croire que je t'aurais abandonnée ?
Je me suis éveillé très douloureusement quinze jours plus tard, dans cette autre cabane ; j'ai aperçu Daniel, derrière un rideau qui buvait dans une timbale en zinc. Sarah nous avait recueillis et soignés...

Oh le conte de fée ! Et c'est à quel moment que je me suis transformée en citrouille ? Ah c'est cela, c'était Halloween et Cendrillon a explosé du potiron !

Je t'en prie, ne sois pas sarcastique... j'ai tellement souffert... j'ai tellement dégusté...

Ah ça ! Moi aussi j'ai dégusté, et les mouches à merde crois-moi elles m'ont bien becquetée

J'ai tellement payé...

T'as PAYE ??? tu te fous de moi ? Ah tu as payé !!! tu t'es payé oui, ah oui tu t'es bien payé... ça va la vie, tu manques de rien ? Pas trop gavé de champagne ! Toutes ces réceptions, ces honneurs, c'est fatiguant, hein, mon cœur ?

Alicia, ma si douce, si tu savais... pardonne-moi...

Et eux ? dit-elle en montrant tous les cadavres, les tout petits, leurs mamans, les petits vieux, tu leur demandes pardon à eux aussi ? « Pardon je suis une mouche à merde, j'ai tellement bouffé de caviar sur votre dos que j'en crève comme une charogne ».

Alicia... pourquoi ?

Parce que je voulais te voir si pitoyable ; plus de dix ans se sont passés et tu n'es jamais retourné la-bas. Tu ne sais même pas ce qu'on a fait de moi ; tu te pavanes avec tes nœuds paps ! Je suis venu craché sur ta tombe !

Pitié pour Sarah, elle a perdu toute sa famille...

Et elle se tape mon mec !

Sauve-la... je ferai ce que tu voudras

Je t'embarque Mec, cette cabane, oh que oui elle ressemble à l'autre; tu fermes les yeux et je te téléporte... C'est moderne çà non ??? j'entends le Daniel dehors, qui dit qu'on est au vingt et unième siècle et qu'on croit plus à ces vieux trucs de malédiction. Quel fumier celui-là ! Perd rien pour attendre !

Laisse-les partir... laisse-la partir, je t'en supplie; tout le monde a souffert tu sais...

Sauf moi, dix ans de croisière dans les ténèbres, l'extase ! Pas une seule fois réveillée par ta conscience...

C'est faux, ça tu ne peux pas dire ça. Tous les jours, depuis dix ans je pense à toi

Continue, je la tue ! Tu m'entends ? C'est fini Etienne, ce discours là, tu peux le servir à ton psy de pacotille mais pas à moi tu veux ? Vous vous en êtes mis plein les poches et vos remords à deux balles, tu te les fous dans ...

Mais enfin Alicia, je ne te reconnais plus...

Ah désolée, ma reconstruction esthétique s'est mal passée ! Sinistre con !
Et puis je te l'ai déjà dit j'ai des comptes à rendre, j'ai des supérieurs et des subalternes et l'un de ces derniers fait des siennes... tu ne vas pas tarder à comprendre.
Tu me suis la queue entre les pattes et bien piteux comme une pauvre tarte que tu es, et je te les sauve tes avortons ! Les Gilles et les Jérémy, les Daniel au bar de la gare, quand vous noyiez vos chagrins dans la lie salace de vos vies, j'étais où moi ?
Ils t'ont bien lâché les bougres ! Ah ah, c'est ton tour, c'est âpre la traîtrise, pas vrai ! T'as pensé à moi depuis dix ans ? Te trompe pas Mec, cette fois, ils sont tout proches, et elle est derrière la Sarah, à un battement de cil de moi, alors ? T'as pensé à moi, à eux...

Mais oui....

Les lâches payent toujours le prix fort, il est l'heure

A ce moment là, toute la cabane s'est mise à trembler, comme si elle allait s'effondrer sur eux tous, les engloutissant à jamais

Non non !!!

Non quoi ?

_Etienne, Etienne prends-ma main, je te vois ! Mon amour, je t'en prie, ne la regarde pas, regarde moi... je suis ta Vie Etienne, elle est ta mort !

NON QUOI ????

_Etienne, je suis enceinte... crie Sarah de tout son cœur

Nooooon je n'ai pas pensé à toi...

La cabane a continué de trembler...

Etienne est emporté dans le tourbillon bleu et blanc aux odeurs de mer

Sarah en a été littéralement expulsée. A son tour, par son aveu, Etienne venait de lui sauver la vie.

Danna et Daniel, totalement éberlués l'ont vue tomber de tout son long et totalement inanimée à leurs pieds sur un épais tapis de mousse ensanglantée... Une pellicule de film dans son boîtier noir au bout d'une chaîne d'or autour de son cou, Sarah paraissait livide, comme revenue d'entre les morts.
Sa dernière vision avant d'être éjectée, était l'horreur de la disparition de son amour Etienne noyé dans une spirale bleue au visage de femme aux yeux blancs, telle une sirène maléfique qui criait dans un rire mauvais « Trésor, tu n'as pas oublié ta caméra j'espère ! » elle exultait.
Reprenant à peine ses esprits, dans un effort surhumain, Sarah parvient à se redresser et à chercher la cabane de ses yeux emplis de larmes...

Aucun cratère, pas une empreinte, aucun signe de sa présence quelques minutes plus tôt... juste tenace, cette odeur de cave en terre...
La cabane, effectivement, avait disparu...

Un crépitement de feuilles, des pas très lents s'avançent vers eux, le sentier forestier a réapparu ; avant de partir, Danna avait laissé un message sur le répondeur de Mathieu son copain d'enfance, l'inspecteur Jabert de la brigade des recherches ; il est talonné par l'illustre et mystérieux Commissaire Vulgor de la brigade spécialisée en phénomènes surnaturels ; le commissaire, Luc de son prénom, a été appelé par Gilles et Jeremy qui s'étant retrouvés au bar de la gare pour partager courageusement leur inquiétude se sont donc rassurés en refilant le bébé à leur pote de toujours, devenu plus célèbre que le fameux Maigret !

Les premières paroles de l'inspecteur fusent :
«Que personne ne bouge, surtout  pas de précipitation ! »

Le commissaire Vulgor rétorque :
Attention, ici il n'y a plus d'amis qui comptent ! Ce n'est pas parce que vous m'avez devancé cher Inspecteur que vous allez prendre les rênes ! Je vous rappelle que vous êtes mon subalterne.

À ces mots, Sarah se remémore Alicia machiavélique :
elle a parlé de toi Matt, elle a dit qu'elle avait des subalternes, dont un particulièrement posait problème... c'est toi Matt, j'en suis certaine, j'en ai eu la vision...

L'inspecteur Jabert, accroupi devant les vestiges de la cabane évaporée, secouant frénétiquement de sa main gauche, son carnet comme s'il voulait en faire tomber les mots, psalmodie comme une litanie :
Pas de précipitation... surtout pas de précipitation...










vendredi 5 octobre 2012

Oui, on est dans la merde Chapitre 9 (Java)

-Oui on est dans la merde. On s’est paumé. Bon, j’en ai assez vu, on se tire, sinon je ne vais pas dormir de la nuit… Ecoute on est au vingt et unième siècle, les cabanes ne se volatilisent pas comme ça. On s’est planté de chemin et on ne va pas y passer des heures. On rentre et on appelle les flics. Des copains se sont perdus en forêt… Point barre.

-Mais putain, ces histoires autour de cette cabane tu les connais comme moi…

-Oui comme les OVNIS, les esprits frappeurs, les sirènes et tout le bazar. On a fait semblant d’y croire quand on était ado et maintenant on continue parce que ça donne du piquant, du surnaturel  à nos réalités tristounettes. Mais j’ai jamais rencontré de fées ni de Yéti. Alors un peu d’adrénaline, je veux bien, mais point trop n’en faut.

-Et ton portable ? Et ce froid ?

-Quoi mon portable, il s’est pas transformé en crapaud, non ? Il n’y a peut être pas de couverture réseau ici, ou j’ai oublié de le charger. Quant au froid, il est une heure du mat, c’est un peu normal, non ?  Toi, tu as même froid avec deux pulls et vingt degrés, alors…Allez on rentre, on se prend un bain chaud et on se met au lit pour un petit câlin loin des succubes et des sorcières de Salem et avant on appelle le commissaire Maigret.

-Très drôle…

-J’essaie simplement de détendre l’atmosphère, parce qu’elle est un peu tendue, non ? On va pas jouer à se faire peur non ? Enfin moi, j’ai pas envie. Allez un denier salut aux fantômes et on rentre.

-Daniel ?

-…..

-Il n’y a plus de chemin derrière nous… Fais quelque chose, je t’en prie, fais marcher ta tête, ton téléphone ou je vais hurler.


                                                           ---------------


Elle semble par sa seule présence annihiler ma volonté. J’arrive pourtant à force d’efforts à encore penser, par morceaux, entre la douleur,  ses menaces et ces images dans ma tête. Dans ces moments de lucidité, je vois le visage de Sarah en face du mien, blanc, crayeux, creusé, ses yeux, soulignés par des marques profondes sombres, je n’y vois qu’un appel auquel je suis incapable de répondre. Coordonner paroles et pensée m’est impossible.

C’est bizarre, je ne me demande même pas ce que l’on fait là. Comment cette femme, morte depuis… Depuis quand  déjà ? a trouvé le chemin jusqu’à moi. Ma conscience ? Ma conscience ? Mais je la trimballe depuis des lustres ma conscience, elle me réveille la nuit en sueur, m’oblige à consulter un psychanalyste depuis deux ans après avoir passé six mois en unité psychiatrique. Alors merde qu’est ce qu’elle fout là ?

-Merde, qu’est ce que tu fous là ?

 J’ai crié, ma voix a fait taire les clameurs, ces cris effroyables  dans ma tête qui semblaient venir de la profondeur des âges se sont tus J’ai crevé un instant cette bulle poisseuse et nauséabonde qui m’emprisonne. La haine de son regard s’est évanouie un instant, puis elle est revenue, encore plus vive, plus soutenue… Encore une fois sa bouche s’est ouverte, un sang rouge et épais en est sorti, un sang qui ne semblait plus devoir s’arrêter de couler.

 Ses mots me sont parvenus, d’abord comme un murmure lointain avant de s’amplifier peu à peu, je les voyais quitter ses lèvres, comme dans un mauvais trip sous acide et se répercuter sur les murs qui se contractaient comme des spasmes et se couvraient de pourpre.

-Tu me reconnais ? Regarde moi, j’ai mis huit heures à mourir, huit heures à t’attendre au milieu de tous ces cadavres, de ces bouts de cervelles éparpillés, des derniers râles, mes yeux fixés sur le sac de ta caméra et sur la porte que je t avais vu franchir en me promettant de revenir avec des secours…

-Tais toi, tu es morte…

-Je te les ai amené, ce soir, tous ces corps, regarde les, comme je les ai regardé pendant tout ce temps. « Vite », disais tu. « Je vais faire vite »…. Tu voudrais savoir si j’avais compris que ton « greffon » comme tu aimais l’appeler et que tu avais laissé derrière toi était vide. Si la pellicule qui avait capturé ces instants avec ces paysans, ces enfants et l’arrivée des  hommes en armes, du feu, des balles et du massacre, avait quitté ce village de pêcheurs avec toi. Tu n’en peux plus de vivre avec ce doute. Avais-je compris que tu m’avais abandonné ? La femme que tu disais aimer s’était-elle aperçue que tu avais choisi d’envoyer ton putain de film au journal avant de la secourir ? Que crois tu? Que mon amour fut plus fort que le doute ? Aujourd’hui, ces images qui t’ont valu tous les honneurs, te gâchent tes jours et tu ne supportes plus le regard de Sarah. Parce qu’avec le temps, tu te demandes si la vie que tu as construite valait cette trahison, ces renoncements et ma mort.

 Regarde, regarde la, cette cabane encombrée de la merde et de la puanteur que tu as laissées derrière toi ce jour là. Et je te fais cadeau des mouches, des milliers de mouches qui sont venus se nourrir pendant ces heures. Je t’épargne le bruit de leurs ailes qui bourdonnaient en coeur comme pour fêter ce festin tombé du ciel… Du ciel ? Non, ce cadeau là, venait tout droit des enfers.  Laisse tes yeux se promener sur ce corps que tu as abandonné, ce visage que tu avais caressé, embrassé et que des insectes noirs ont recouvert, se repaissant de mes larmes et mon sang. Tu sais depuis toujours que je reviendrai tôt ou tard et c’est toi qui a choisi l’instant. Ce que tu vas vivre maintenant n’est pas pire que ces heures là. Tu vas avoir mal et à travers toi, elle aussi va avoir mal.  Elle va douter, se remettre… Ou mourir. Et tout ça dépend encore de toi. Tu ne devais pas la ramener de là bas et me laisser moi... 

-Etienne… J’ai froid maintenant, très froid. Etienne tu m’entends ? Dis moi que tout cela est un mauvais rêve, que cette femme n’existe pas. Etienne ?   

mardi 2 octobre 2012

Perdition Chapitre 8 (Allison)

Chapitre 8  Perdition.
 Insidieuse, la voix reste pourtant à l'orée de moi; pourtant, chaque seconde qui passe aspire un peu de ma force, mine ma défense comme Alicia me force à plier.
Mes yeux me brûlent, comme ils changent pour s'adapter à l'espace-temps de la cabane.
- Laisse-le. Il n'est pas responsable.
Elle me regarde. Amusement et mépris donnent à son regard blanc des reflets envoûtants.
Les miens tirent vers le bleu, symbole du mélange de sang. Les fairies aux yeux blancs comme l'air dont elles sont issues; quant à moi, le peuple de la mer dont je suis en partie l'héritière a laissé sa marque dans mon corps, réceptacle des deux éléments.
- Sang-mêlée, dit-elle, et sa bouche se tord dans un rictus que même sa beauté iréelle ne parvient pas à adoucir complètement.  Ceci est entièrement de SA faute.
D'un geste dédaigneux, elle désigne les corps pourrissants qu'elle dispose selon son humeur d'un coin à l'autre de la cabane, certains à moitié enterrés, d'autres complètement déchiquetés.
Je vacille.
Si je les vois, c'est qu'ils sont réels, et pas le fruit d'une illusion.
Mais que s'est-il réellement passé ici?
                                     *
                                     *    *
Sarah.
Sar-ah. Princesse.
Les yeux désespérément fermés, je sens ses mains qui refroidissent; ses doigts s'incurvent, s'aggripent à la chair de mes bras comme la glace se fraye un chemin jusqu'à la brûlure qui dévore ma tête.
Je me raidis sous l'impact, mais je résiste à l'instinct de repousser la vague blanche et bleue. Etrange d'ailleurs, ces deux couleurs qui se mêlent sous mes paupières closes tandis qu'une odeur de mer commence à recouvrir celle, humide et terreuse, de ma "conscience".
"tu espères en vain. Elle n'a pas la force nécessaire pour me vaincre. Assume!"
Mon corps est devenu un champs de bataille.
                                       *
                                       *    *
- Putain, ça me fout les boules.
Faisant mine de ne pas avoir entendu la remarque de son compagnon, Danna raffermit sa prise sur la petite bombe de gaz lacrymogène avant de la passer dans son autre main, la serre violemment, au rythme des vagues de froid qui passent sous son pull de laine.
- Tu sens pas que quelque chose cloche? finit-elle par demander.
Sortant une de ses mains de la poche de son jean, il l'y remet immédiatement.
- Pas normal. Devrait pas faire aussi froid à cette époque, même en pleine nuit.
Je sais même pas si on est au-dessus de zéro, approuve Danna. Mais il y a autre chose.
Daniel regarde autours de lui. Encore, regarde le chemin qui continue sur la droite.
- Oh bordel.
La cabane a disparu.
- Ton portable, murmure Danna. Appelle Gilles. Ou Sarah, n'importe qui. Je veux pas rester là.
Daniel sort son portable; avant même qu'il le range, elle devine à son air horrifié ce qu'elle craignait.
- Pas de réseau?
Il hoche la tête.
- On est dans la merde.