mardi 9 octobre 2012

Douce Alicia... Chapitre 10 (Tippi)


Douce Alicia...


Etienne? il n'y plus d'Etienne... Il est mort Etienne 

Je vois les mots se déverser de sa bouche, ils sont flammèches, torrents de sang, essaim grotesque de mouches noires. Ses lèvres alternent entre rictus et pleurs ; je n'entends pas les cris, à jamais sourd à eux. Je connais son regard, j'y ai tellement puisé.
Ma mémoire amoureuse donne sourire et lumière à ces yeux haineux, à cette bouche déformée ; les images de bonheur se superposent comme dans un kaléidoscope. Alicia, la gardienne de tous mes « je t'aime » … jamais,

Jamais je te le jure je n'ai plus prononcé ces mots.
J'ai retiré la pellicule dès qu'on a commencé à courir, je m'y étais préparé. J'ai voulu chercher Daniel, je ne pouvais pas le laisser sous la mitraille ; je venais de le voir tomber, et je croyais t'avoir mise à l'abri.
Non, je ne suis pas parti en prenant le film à ce moment là, sachant que j'allais te laisser. Non, je n'aurais jamais fait cela.
En rejoignant Daniel près d'une petite porte cochère, pas loin d'une cabane... tiens comme celle-ci, j'ai été percuté et j'ai perdu conscience...

Ah ouiii vocifère la bouche disloquée, tu l'as perdue ta conscience et bien je te l'ai retrouvée moi !

Comment peux-tu croire que je t'aurais abandonnée ?
Je me suis éveillé très douloureusement quinze jours plus tard, dans cette autre cabane ; j'ai aperçu Daniel, derrière un rideau qui buvait dans une timbale en zinc. Sarah nous avait recueillis et soignés...

Oh le conte de fée ! Et c'est à quel moment que je me suis transformée en citrouille ? Ah c'est cela, c'était Halloween et Cendrillon a explosé du potiron !

Je t'en prie, ne sois pas sarcastique... j'ai tellement souffert... j'ai tellement dégusté...

Ah ça ! Moi aussi j'ai dégusté, et les mouches à merde crois-moi elles m'ont bien becquetée

J'ai tellement payé...

T'as PAYE ??? tu te fous de moi ? Ah tu as payé !!! tu t'es payé oui, ah oui tu t'es bien payé... ça va la vie, tu manques de rien ? Pas trop gavé de champagne ! Toutes ces réceptions, ces honneurs, c'est fatiguant, hein, mon cœur ?

Alicia, ma si douce, si tu savais... pardonne-moi...

Et eux ? dit-elle en montrant tous les cadavres, les tout petits, leurs mamans, les petits vieux, tu leur demandes pardon à eux aussi ? « Pardon je suis une mouche à merde, j'ai tellement bouffé de caviar sur votre dos que j'en crève comme une charogne ».

Alicia... pourquoi ?

Parce que je voulais te voir si pitoyable ; plus de dix ans se sont passés et tu n'es jamais retourné la-bas. Tu ne sais même pas ce qu'on a fait de moi ; tu te pavanes avec tes nœuds paps ! Je suis venu craché sur ta tombe !

Pitié pour Sarah, elle a perdu toute sa famille...

Et elle se tape mon mec !

Sauve-la... je ferai ce que tu voudras

Je t'embarque Mec, cette cabane, oh que oui elle ressemble à l'autre; tu fermes les yeux et je te téléporte... C'est moderne çà non ??? j'entends le Daniel dehors, qui dit qu'on est au vingt et unième siècle et qu'on croit plus à ces vieux trucs de malédiction. Quel fumier celui-là ! Perd rien pour attendre !

Laisse-les partir... laisse-la partir, je t'en supplie; tout le monde a souffert tu sais...

Sauf moi, dix ans de croisière dans les ténèbres, l'extase ! Pas une seule fois réveillée par ta conscience...

C'est faux, ça tu ne peux pas dire ça. Tous les jours, depuis dix ans je pense à toi

Continue, je la tue ! Tu m'entends ? C'est fini Etienne, ce discours là, tu peux le servir à ton psy de pacotille mais pas à moi tu veux ? Vous vous en êtes mis plein les poches et vos remords à deux balles, tu te les fous dans ...

Mais enfin Alicia, je ne te reconnais plus...

Ah désolée, ma reconstruction esthétique s'est mal passée ! Sinistre con !
Et puis je te l'ai déjà dit j'ai des comptes à rendre, j'ai des supérieurs et des subalternes et l'un de ces derniers fait des siennes... tu ne vas pas tarder à comprendre.
Tu me suis la queue entre les pattes et bien piteux comme une pauvre tarte que tu es, et je te les sauve tes avortons ! Les Gilles et les Jérémy, les Daniel au bar de la gare, quand vous noyiez vos chagrins dans la lie salace de vos vies, j'étais où moi ?
Ils t'ont bien lâché les bougres ! Ah ah, c'est ton tour, c'est âpre la traîtrise, pas vrai ! T'as pensé à moi depuis dix ans ? Te trompe pas Mec, cette fois, ils sont tout proches, et elle est derrière la Sarah, à un battement de cil de moi, alors ? T'as pensé à moi, à eux...

Mais oui....

Les lâches payent toujours le prix fort, il est l'heure

A ce moment là, toute la cabane s'est mise à trembler, comme si elle allait s'effondrer sur eux tous, les engloutissant à jamais

Non non !!!

Non quoi ?

_Etienne, Etienne prends-ma main, je te vois ! Mon amour, je t'en prie, ne la regarde pas, regarde moi... je suis ta Vie Etienne, elle est ta mort !

NON QUOI ????

_Etienne, je suis enceinte... crie Sarah de tout son cœur

Nooooon je n'ai pas pensé à toi...

La cabane a continué de trembler...

Etienne est emporté dans le tourbillon bleu et blanc aux odeurs de mer

Sarah en a été littéralement expulsée. A son tour, par son aveu, Etienne venait de lui sauver la vie.

Danna et Daniel, totalement éberlués l'ont vue tomber de tout son long et totalement inanimée à leurs pieds sur un épais tapis de mousse ensanglantée... Une pellicule de film dans son boîtier noir au bout d'une chaîne d'or autour de son cou, Sarah paraissait livide, comme revenue d'entre les morts.
Sa dernière vision avant d'être éjectée, était l'horreur de la disparition de son amour Etienne noyé dans une spirale bleue au visage de femme aux yeux blancs, telle une sirène maléfique qui criait dans un rire mauvais « Trésor, tu n'as pas oublié ta caméra j'espère ! » elle exultait.
Reprenant à peine ses esprits, dans un effort surhumain, Sarah parvient à se redresser et à chercher la cabane de ses yeux emplis de larmes...

Aucun cratère, pas une empreinte, aucun signe de sa présence quelques minutes plus tôt... juste tenace, cette odeur de cave en terre...
La cabane, effectivement, avait disparu...

Un crépitement de feuilles, des pas très lents s'avançent vers eux, le sentier forestier a réapparu ; avant de partir, Danna avait laissé un message sur le répondeur de Mathieu son copain d'enfance, l'inspecteur Jabert de la brigade des recherches ; il est talonné par l'illustre et mystérieux Commissaire Vulgor de la brigade spécialisée en phénomènes surnaturels ; le commissaire, Luc de son prénom, a été appelé par Gilles et Jeremy qui s'étant retrouvés au bar de la gare pour partager courageusement leur inquiétude se sont donc rassurés en refilant le bébé à leur pote de toujours, devenu plus célèbre que le fameux Maigret !

Les premières paroles de l'inspecteur fusent :
«Que personne ne bouge, surtout  pas de précipitation ! »

Le commissaire Vulgor rétorque :
Attention, ici il n'y a plus d'amis qui comptent ! Ce n'est pas parce que vous m'avez devancé cher Inspecteur que vous allez prendre les rênes ! Je vous rappelle que vous êtes mon subalterne.

À ces mots, Sarah se remémore Alicia machiavélique :
elle a parlé de toi Matt, elle a dit qu'elle avait des subalternes, dont un particulièrement posait problème... c'est toi Matt, j'en suis certaine, j'en ai eu la vision...

L'inspecteur Jabert, accroupi devant les vestiges de la cabane évaporée, secouant frénétiquement de sa main gauche, son carnet comme s'il voulait en faire tomber les mots, psalmodie comme une litanie :
Pas de précipitation... surtout pas de précipitation...










1 commentaire:

  1. Vulgor !!! ça va plaire à Dark ce nom là, j'en suis sur. Il va nous l'envoyer au septième ciel. "Dix ans de croisière dans les ténèbres, l'extase"... succulent ! encore un chapitre formidable avec mille détails et bien des sous entendus. Bravo Tippi

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