mercredi 24 octobre 2012

Chapitre 11 (Mathieu J.)


Avant de subir ce silence inouï, la dernière voix que j’entends au-delà des cris chargés des larmes de Sarah, est celle de Mathieu. L'inspecteur Jabert, mon fidèle ami, est sur place lui aussi. Et soudain je comprends une chose. Elle m'a échappée pendant toutes ces années mais la vérité éclate brusquement dans mon esprit malmené par les événements du jour. Aux paroles de Mathieu, je saisis immédiatement. Le puzzle se reconstitue d’un coup. Les pièces s'assemblent sans que je puisse rien y faire. La partie allait se jouer sans moi. Alicia avait raison. A cet instant je sais que Sarah est en danger. Et dire qu'au cours de ces douloureuses séances chez mon psy, j'avais sans cesse gravité autour de l'indice qui me manquait. Je m'étais approché et éloigné alternativement, au gré des discussions et des questions parfois embarrassantes du docteur. Dix ans que mes nuits étaient peuplées de véritables cauchemars et dix ans que ces allers retours chez le psy étaient censés m'apaiser. Il avait fallu que je fasse une nouvelle fois le con à vouloir retrouver la cabane. Bordel, il avait fallu entendre la tirade machiavélique d'Alicia puis le murmure de Mathieu pour qu'enfin tous les fragments de l’histoire collent. Oui mais voilà, je venais de faire un choix fatal. J'avais tranché et je me retrouvais piégé. J'étais là sans y être, dans un endroit indéfinissable, au silence étouffant. La fin allait sonner funestement à l’extérieur et pourtant les questions continuaient à affluer. Pas sûr que je sois en mesure de tenter d’y répondre.
J'étais foutu certes, mais Sarah ne pouvait pas subir ce que je redoutais. Non, surtout pas. Il subsistait peut-être un moyen, une chance infime...
 
********
 
L’inspecteur Jabert continue son manège, comme sourd aux injonctions de Sarah, et imperméable à la tension qui règne alentour. Seul son précieux carnet semble agité. Lui est stoïque, concentré sur la recherche d’indices. Il a à peine salué Vulgor, plus démonstratif et méditerranéen dans sa façon d’aborder la situation. Sa mise en garde a d’ailleurs glissé sur Jabert.
Mais Sarah n’en démord pas. Sa vision se précise. Elle agrippe soudain la manche de Mathieu, manquant de précipiter à terre le fameux carnet.
 
-          Mat, écoute moi bon sang…C’est toi. Tu es le subalterne, elle a parlé de toi !
 
Jabert finit par lever la tête et tendre une oreille tout en faisant courir sa plume sur le papier recyclé. Aussi brusquement qu’il s’employait calmement à récolter des éléments un instant plus tôt, il empoigne Sarah et l’éloigne du groupe.
 
-          Sarah, « elle », c’était qui ? Qu’est-ce qu’elle a dit précisément ?
-          Tu sais très bien qui elle est.
-         Ecoute moi, tu viens de vivre une expérience traumatisante, je te comprends…Prends-ton temps, ne te précipite pas. On va discuter, tu vas tout me raconter.
 
Mathieu se rapproche alors du groupe :
 
-          Elle est sous le choc.
 
Le groupe décide d’un commun accord de poursuivre l’interrogatoire dans un endroit plus familier à Sarah, et surtout plus apaisant. La bande laisse la place aux équipes de techniciens de la brigade de recherche et de celle des phénomènes surnaturels.
 
Le commissaire Vulgor a donné ses ordres avant de quitter les lieux. Il faut aller vite. Cette histoire va faire le tour de la bourgade. Et il connaît bien la nature humaine. C’est peut-être pour cela qu’il s’accroche de cette manière à sa passion du surnaturel. Il en a fait son métier. Il lui permet de s’évader depuis cette sombre affaire survenue il y a plus de dix ans. Cette lugubre affaire qui semble vouloir ressurgir aujourd’hui. Pour le moment, il souhaite éviter à tout prix les fouilles-merde, quelques journalistes du canard local en particulier. Mais il veut surtout s’épargner quelques frayeurs. Et sauver ce qui peut encore l’être.
 
 
Installée confortablement dans le fauteuil de Danna et Daniel, Sarah parle. Elle ne peut plus s’arrêter, une tasse de café entre les mains.
Dans la pièce d’à côté, le couple patiente. Mathieu a insisté pour séparer la bande dès leur arrivée. C’est Vulgor qui a préparé le café. Une dose conséquente. Les deux fonctionnaires savent que la séance de questions durera.
Le breuvage mêlé à ses confessions semble soulager Sarah.
Une chose attire sans cesse les yeux de Jabert et Vulgor, cette pellicule accrochée au cou de la jeune femme. Mais ils essaient de ne pas la brusquer.
Un mot revient dans le récit des évènements de la cabane. Celui de psy. Etienne consulte un psy, et Sarah a l’air de l’avoir découvert aujourd'hui. Les deux enquêteurs échangent un regard furtif. Il faudra absolument consulter le psy ou avoir accès au dossier médical. Le plus vite possible.
 
 
Dans la cuisine, Daniel est nerveux. Il pressent quelque chose.
 
-      Danna ?
-      Oui ?
-    J’ai surpris une conversation téléphonique tout à l’heure. Vulgor se demandait pourquoi on avait appelé Jabert. Il paraissait furieux.
-     Tu penses qu’il a quelque chose à cacher ?
-      Lui oui…mais Mathieu aussi. Les deux savent quelque chose. Et les deux ont intérêt à rester discrets, crois-moi. Et peut-être pas pour les mêmes raisons…

1 commentaire:

  1. Brillante suite !!! bravo Mathieu, cette histoire avance avec une cohésion qui me semble excellente. Un bon moment de lecture, en tout cas, et j'ai adoré le détail qui tue : "en faisant courir sa plume sur le papier recyclé"... un détail qui signe l'auteur :-)))

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