vendredi 5 octobre 2012

Oui, on est dans la merde Chapitre 9 (Java)

-Oui on est dans la merde. On s’est paumé. Bon, j’en ai assez vu, on se tire, sinon je ne vais pas dormir de la nuit… Ecoute on est au vingt et unième siècle, les cabanes ne se volatilisent pas comme ça. On s’est planté de chemin et on ne va pas y passer des heures. On rentre et on appelle les flics. Des copains se sont perdus en forêt… Point barre.

-Mais putain, ces histoires autour de cette cabane tu les connais comme moi…

-Oui comme les OVNIS, les esprits frappeurs, les sirènes et tout le bazar. On a fait semblant d’y croire quand on était ado et maintenant on continue parce que ça donne du piquant, du surnaturel  à nos réalités tristounettes. Mais j’ai jamais rencontré de fées ni de Yéti. Alors un peu d’adrénaline, je veux bien, mais point trop n’en faut.

-Et ton portable ? Et ce froid ?

-Quoi mon portable, il s’est pas transformé en crapaud, non ? Il n’y a peut être pas de couverture réseau ici, ou j’ai oublié de le charger. Quant au froid, il est une heure du mat, c’est un peu normal, non ?  Toi, tu as même froid avec deux pulls et vingt degrés, alors…Allez on rentre, on se prend un bain chaud et on se met au lit pour un petit câlin loin des succubes et des sorcières de Salem et avant on appelle le commissaire Maigret.

-Très drôle…

-J’essaie simplement de détendre l’atmosphère, parce qu’elle est un peu tendue, non ? On va pas jouer à se faire peur non ? Enfin moi, j’ai pas envie. Allez un denier salut aux fantômes et on rentre.

-Daniel ?

-…..

-Il n’y a plus de chemin derrière nous… Fais quelque chose, je t’en prie, fais marcher ta tête, ton téléphone ou je vais hurler.


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Elle semble par sa seule présence annihiler ma volonté. J’arrive pourtant à force d’efforts à encore penser, par morceaux, entre la douleur,  ses menaces et ces images dans ma tête. Dans ces moments de lucidité, je vois le visage de Sarah en face du mien, blanc, crayeux, creusé, ses yeux, soulignés par des marques profondes sombres, je n’y vois qu’un appel auquel je suis incapable de répondre. Coordonner paroles et pensée m’est impossible.

C’est bizarre, je ne me demande même pas ce que l’on fait là. Comment cette femme, morte depuis… Depuis quand  déjà ? a trouvé le chemin jusqu’à moi. Ma conscience ? Ma conscience ? Mais je la trimballe depuis des lustres ma conscience, elle me réveille la nuit en sueur, m’oblige à consulter un psychanalyste depuis deux ans après avoir passé six mois en unité psychiatrique. Alors merde qu’est ce qu’elle fout là ?

-Merde, qu’est ce que tu fous là ?

 J’ai crié, ma voix a fait taire les clameurs, ces cris effroyables  dans ma tête qui semblaient venir de la profondeur des âges se sont tus J’ai crevé un instant cette bulle poisseuse et nauséabonde qui m’emprisonne. La haine de son regard s’est évanouie un instant, puis elle est revenue, encore plus vive, plus soutenue… Encore une fois sa bouche s’est ouverte, un sang rouge et épais en est sorti, un sang qui ne semblait plus devoir s’arrêter de couler.

 Ses mots me sont parvenus, d’abord comme un murmure lointain avant de s’amplifier peu à peu, je les voyais quitter ses lèvres, comme dans un mauvais trip sous acide et se répercuter sur les murs qui se contractaient comme des spasmes et se couvraient de pourpre.

-Tu me reconnais ? Regarde moi, j’ai mis huit heures à mourir, huit heures à t’attendre au milieu de tous ces cadavres, de ces bouts de cervelles éparpillés, des derniers râles, mes yeux fixés sur le sac de ta caméra et sur la porte que je t avais vu franchir en me promettant de revenir avec des secours…

-Tais toi, tu es morte…

-Je te les ai amené, ce soir, tous ces corps, regarde les, comme je les ai regardé pendant tout ce temps. « Vite », disais tu. « Je vais faire vite »…. Tu voudrais savoir si j’avais compris que ton « greffon » comme tu aimais l’appeler et que tu avais laissé derrière toi était vide. Si la pellicule qui avait capturé ces instants avec ces paysans, ces enfants et l’arrivée des  hommes en armes, du feu, des balles et du massacre, avait quitté ce village de pêcheurs avec toi. Tu n’en peux plus de vivre avec ce doute. Avais-je compris que tu m’avais abandonné ? La femme que tu disais aimer s’était-elle aperçue que tu avais choisi d’envoyer ton putain de film au journal avant de la secourir ? Que crois tu? Que mon amour fut plus fort que le doute ? Aujourd’hui, ces images qui t’ont valu tous les honneurs, te gâchent tes jours et tu ne supportes plus le regard de Sarah. Parce qu’avec le temps, tu te demandes si la vie que tu as construite valait cette trahison, ces renoncements et ma mort.

 Regarde, regarde la, cette cabane encombrée de la merde et de la puanteur que tu as laissées derrière toi ce jour là. Et je te fais cadeau des mouches, des milliers de mouches qui sont venus se nourrir pendant ces heures. Je t’épargne le bruit de leurs ailes qui bourdonnaient en coeur comme pour fêter ce festin tombé du ciel… Du ciel ? Non, ce cadeau là, venait tout droit des enfers.  Laisse tes yeux se promener sur ce corps que tu as abandonné, ce visage que tu avais caressé, embrassé et que des insectes noirs ont recouvert, se repaissant de mes larmes et mon sang. Tu sais depuis toujours que je reviendrai tôt ou tard et c’est toi qui a choisi l’instant. Ce que tu vas vivre maintenant n’est pas pire que ces heures là. Tu vas avoir mal et à travers toi, elle aussi va avoir mal.  Elle va douter, se remettre… Ou mourir. Et tout ça dépend encore de toi. Tu ne devais pas la ramener de là bas et me laisser moi... 

-Etienne… J’ai froid maintenant, très froid. Etienne tu m’entends ? Dis moi que tout cela est un mauvais rêve, que cette femme n’existe pas. Etienne ?   

1 commentaire:

  1. Entre le "Fais quelque chose, je t’en prie, fais marcher ta tête, ton téléphone ou je vais hurler" et le "Tais toi, tu es morte"... je suis MDR. C'est vraiment excellentissime. Un bon brin d'humour au milieu de cette histoire de dingues. Bravo bravo... et ouh là là... bon courage à Tippi.

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